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Haïti: «L’arrivée de la force kényane est le résultat d’un deal conclu avec les Américains»

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Haïti: «L’arrivée de la force kényane est le résultat d’un deal conclu avec les Américains»

Pourquoi le Kenya s’est-il porté volontaire pour envoyer 1 000 policiers en Haïti afin d’essayer d’y rétablir l’ordre ? Pourquoi cette offre vient-elle d’un pays d’Afrique et pas d’un pays du continent américain, comme les États-Unis ou le Canada ? Bref, quelles sont les raisons avouables et peut-être moins avouables de cette initiative surprenante ? L’anthropologue béninois Brice Ahounou connaît bien Haïti. Cet enseignant-chercheur est à Paris, correspondant du journal Haïti-Observateur de New York.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a donné son feu vert à l’envoi d’une nouvelle force multinationale menée par le Kenya (photo d’illustration).
Le Conseil de sécurité de l’ONU a donné son feu vert à l’envoi d’une nouvelle force multinationale menée par le Kenya, Source, RFI.

« Nos frères et sœurs haïtiens sont les premiers à avoir gagné leur combat pour la liberté face à la tyrannie coloniale. Et leurs cris sont arrivés jusqu’à nos oreilles », a lancé le président kényan William Ruto, c’était à la tribune de l’ONU il y a quelques jours. Brice Ahounou, quelle place occupe Haïti dans le cœur des Africains ?

Brice Ahounou : Haïti est une Afrique très avancée dans la mer des Caraïbes. Et effectivement, Haïti occupe une place importante. Mais je dois dire, il y a de cela quelques années, la République Haïti était rentrée à l’Union africaine en 2012, et elle a mis 4 années à en sortir. Cela nous a amenés à nous interroger aujourd’hui pour savoir si, par exemple, les dirigeants politiques africains s’intéressent vraiment à Haïti, puisque la République de Haïti n’est plus membre de l’Union africaine.

Parce que, au départ, elle avait un statut de membre observateur et les dirigeants de l’Union africaine ne se sont pas tout à fait mis d’accord. Ils ont invoqué un article de la charte de l’Union africaine et ils ont mis Haïti dehors.

Il y a eu un sentiment de solidarité après le tremblement de terre de 2010. C’est peut-être pour cela qu’Haïti y est entrée en 2012 ?

Absolument. Et je dois dire que cette solidarité s’était aussi étendue à plusieurs pays comme le Sénégal.

Pourquoi dites-vous que, pour les Africains, Haïti est à la fois loin et proche ?

Loin, d’abord par la distance géographique. Vous verrez par exemple que le Kenya, qui accepte de prendre la tête d’une force internationale en Haïti, est à plus de 12 000 kilomètres. Et proche, parce que culturellement les Africains, notamment ceux de l’Ouest, considèrent que Haïti est une partie de leur culture. Le plus classique, c’est le vaudou et tout le reste. Quand on va en Haïti, on voit qu’il y a une grande ressemblance des gens qu’on voit, des modèles culturels et tout le reste. On pourrait se croire en Afrique quand on arrive en Haïti. Mais en même temps, les Haïtiens ont fait un trajet historique très important au cours des 200 dernières années et que Haïti est un pays de l’hémisphère nord-américain.

Vous parlez du vaudou qui relie Haïti à l’Afrique de l’Ouest et au Bénin. Pourquoi plutôt le Kenya que le Bénin pour manifester cette solidarité concrète en Haïti ?

C’est ce qu’il y a de plus étrange dans cette affaire justement. Mais en fait, nous savons très bien que l’arrivée des Kényans en Haïti est le résultat d’un deal conclu avec les Américains. C’est-à-dire que Washington a été depuis toujours, en tout cas depuis ces dernières années, un peu la puissance tutélaire en Haïti à travers le Core Group par exemple [Ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, de France, de l’Union européenne, du représentant spécial de l’Organisation des États américains et de la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies], ce club de pays du Nord qui s’ingèrent dans les affaires haïtiennes. Donc, le Kenya a répondu à une demande américaine en fait. Joe Biden met sur la table, je crois, 100 millions de dollars. Donc, le Kenya a accepté. D’ailleurs, on remarque très bien que l’opposition kényane, quelques voix de l’opposition kényane, s’étonne de cette offre que le Kenya accepte. Donc, je dirais que c’est un projet américain auquel le Kenya a répondu.

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Il y a un opposant kényan qui a été candidat en 2017, Ekuru Aukot, qui dit que « les policiers kényans sont envoyés en Haïti pour nettoyer le sale travail des États-Unis et de la France »…

Il n’a pas tout à fait tort, c’est un peu crûment dit. Mais il n’a pas tout à fait tort, parce que le Premier ministre haïtien actuel, qui est un Premier ministre intérimaire, qui n’a jamais été élu et dont la légitimité pose question, ce Premier ministre là est quand même piloté quelque part par le département d’État américain. Il est membre du Core Group dont je vous ai parlé. Donc, l’opposant kényan, quand il dit cela, il se rend bien compte que c’est une espèce d’échec quelque part franco-américain en Haïti et que les Américains ne veulent plus entrer dans les affaires haïtiennes directement, puisque les dernières missions des Nations unies, qui ont été en Haïti, ont été entachées de divers scandales. Et elles n’ont pas répondu justement à la volonté première qui était de relever Haïti. Donc, ces pays sont devenus frileux, je veux dire la France et les États-Unis, qui ne veulent plus y aller directement et préfèrent s’adresser peut-être à une nation proche visuellement des Haïtiens puisqu’il s’agit là des Kényans qui vont y aller. Mais dernière chose concernant quand même le Kenya, on peut s’interroger sur la police kényane. Amnesty International, au mois d’août par exemple, a adressé une lettre au Conseil de sécurité pour s’alarmer du fait que la police kényane n’a pas une grande réputation de tendresse en matière des droits de l’homme. On peut se réjouir qu’enfin, des forces viennent pour aider les Haïtiens à sortir de la question des gangs, mais, en même temps, des questions importantes se posent sur ce qui risque d’arriver.

Même si les Américains et les Français se cachent derrière les policiers kényans pour ne pas être rejetés par la population haïtienne, est-ce que ce n’est pas tout de même une main tendue à tous ces malheureux Haïtiens qui vivent sous la terreur des gangs ?

Je dirais oui et non. Oui, dans un premier temps, on est d’accord parce qu’il faut bien que quelqu’un puisse les aider, puisque, quand on a vécu cette terreur en Haïti, on voit comment les gens sont tués avec cruauté. Donc, dans un premier temps, c’est intéressant qu’on vienne les aider. Mais, qu’est-ce qui vient par la suite ? Cette main tendue est une main bienvenue pour au moins soulager les populations dans un premier temps. Mais tout reste à construire.

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